Portait du Comité Scientifique Pro Anima
Le Comité Scientifique Pro Anima, crée en 1989, est un comité dont les activités ont pour but de promouvoir une recherche biomédicale et une sécurité sanitaire rigoureuse ainsi qu'une plus grande reconnaissance et acceptation des technologies innovantes alternatives aux animaux.
Pouvez-vous nous présenter Pro Anima, quelles
sont ses valeurs, son Histoire, ses actions ?
Fondé en 1989 par Christiane Laupie-Koechlin sous la présidence d'honneur du professeur Théodore Monod, Pro Anima (du latin le souffle, la vie) est un comité scientifique pionnier en France. Ses activités contribuent au même objectif : promouvoir une recherche biomédicale et une sécurité sanitaire rigoureuse ainsi qu'une plus grande reconnaissance et acceptation des technologies innovantes alternatives aux animaux (modèles 3D in vitro, bio-impression 3D et 4D, intelligence artificielle, etc.) ; ceci, pour assurer des substances chimiques plus sûres (médicaments, produits alimentaires, produits cosmétiques et d'entretien, pesticides, colorants…), mieux testées, plus fiables pour la santé, et respectueuses de l'environnement.
Pour accompagner la transition vers une recherche non animale, le Comité Pro Anima joue un rôle d'intermédiaire et favorise le dialogue pour interpeller et sensibiliser toutes les parties prenantes (industriels, chercheur(e)s, régulateurs et société civile) principalement à l'échelle française et européenne. L'enjeu est de participer à faire évoluer tant les mentalités et les pratiques que la réglementation.
Nos principales actions sont la sensibilisation des acteurs et responsables publics, scientifiques et économiques, mais aussi du grand public à ces méthodes plus prédictives et fiables pour la santé ; la publication d'un magazine trimestriel Science, Enjeux, Santé, la seule revue française dédiée à la recherche non animale avec des interviews d'acteurs clés, tels que les Prof. Donald Ingber du Wyss Institute de l'université de Harvard, pionnier de la technologie des organes-sur-puce, et Thomas Hartung de l'université Johns Hopkins, toxicologue de renommée internationale et chercheur également pionnier de la recherche non animale.
Le Comité scientifique Pro Anima a fondé le Prix EthicScience en 2013, qui est devenu en 2023, avec le soutien de la Fondation Descroix-Vernier, le Prix Descroix-Vernier EthicScience (DVES), récompensant tous les 2 ans des équipes et programmes de recherche parmi les plus innovants, avec une dotation totale de 110 000 euros pour 3 catégories. Le Prix DVES est le seul prix français exclusivement dédié à la recherche non animale. La prochaine édition a lieu en 2025 sous la coordination d'un comité de sélection présidé par le Dr Jean-Pierre Cravedi (Toxicologue, président du Conseil scientifique d'Aprifel, ancien expert de l'ANSES et de l'EFSA) qui prend la suite du Prof. Jean-François Narbonne (Docteur en biologie moléculaire et toxicologue, ancien expert auprès d'agences sanitaires nationales (ANSES, CSHPF) et internationales (Conseil de l'Europe, EFSA, PNUE) et auprès des tribunaux).
Pro Anima a également lancé et coordonne depuis début 2024 trois nouveaux projets, une série de panels de discussion Science&Dialogue, soutenue par le projet européen PARC et le Centre 3R français. Pour chaque session, sont invités des expert(e)s de haut niveau pour discuter des principaux défis de la transition vers la recherche non animale ; des ateliers de sensibilisation à la recherche non animale destinés à différents publics (grand public, étudiant(e)s, législateurs, etc.) ; un réseau international de professionnels spécialisés dans les méthodes non animales.
Le Comité intervient dans plusieurs projets ou hubs français, européens ou internationaux, comme au sein du projet européen PARC en tant que partie prenante externe, ou encore au sein du global animal-free education hub lancé par le TPI (programme de transition à la recherche non animale de l'université d'Utrecht, Pays-Bas).
Toutes ces missions sont permises grâce à la générosité de donateurs et donatrices (individuels, fondations, entreprises) qui soutiennent nos actions en faveur de la recherche non animale et de l'innovation scientifique pour la santé.
Est-il possible de se passer de
l'expérimentation animale et quelles sont les alternatives existantes ?
Oui, absolument, et c'est même un des grands enjeux de santé publique du XXIe siècle.
Depuis Claude Bernard, considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale, la science a fait de nombreux progrès technologiques mais aussi éthiques.
Aujourd'hui, les preuves scientifiques démontrent[1] que les études basées sur l'animal ne permettent pas de prédire efficacement ce qui se passe chez l'humain[2], de par un manque de valeur translationnelle et de reproductibilité[3]. En 2024, il est plus généralement admis par la communauté scientifique et les institutions qu'entre 80 et 99% des médicaments approuvés chez l'animal échouent lors des essais cliniques chez l'humain.[4], [5], [6] Autrement dit, 9 molécules sur 10 testées sur les animaux échouent lors du passage aux essais cliniques chez l'humain. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, ce taux d'échec atteint 99,6% ![7] Pour le cancer : environ 95% des composés testés dans les essais cliniques ne deviendront jamais un médicament.[8]
Une panoplie de plus en plus étoffée de technologies et de tests ne recourant pas aux animaux et plus proches de la physiologie humaine existe, et montre des résultats plus fiables, plus prédictifs que le modèle animal ou in vivo. Il y a en ce sens une approche plus systémique à développer, qui se retrouve notamment à travers le concept de One Health ou de santé globale. Cette reconnaissance du nombre de tests sans animaux qui s'étoffe a d'ailleurs été rappelée par le Parlement européen dans sa résolution adoptée à une quasi unanimité le 16 septembre 2021 en faveur d'une accélération de l'innovation sans recours à l'animal dans la recherche, l'éducation et les tests réglementaires.
Peut-être avez-vous entendu parler des organes-sur-puce, des organoïdes, de l'impression 3D et 4D, ou encore des simulations par ordinateur avec l'Intelligence Artificielle notamment, permettant de travailler sur un nombre grandissant de pathologies et de risques de toxicité. Ces technologies ont également un potentiel combinatoire très intéressant, car étant complémentaires et opérant du niveau expérimental à celui de la modélisation, elles offrent ainsi à la possibilité de simulations dynamiques complexes et puissantes.
Les organes-sur-puce, des systèmes in vitro de microfluidique, permettent de cultiver et mettre en interaction des cellules ou tissus via des microcanaux, mimant ainsi la physiologie du corps humain en reproduisant les interfaces d'échanges, ou encore les mouvements mécaniques. Via le projet exploratoire France 2030, le PEPR MED OOC a reçu début 2024 un financement du gouvernement français de 48 millions d'euros pour développer ces outils sur le territoire français et les implémenter dans la recherche biomédicale et la santé. Ces outils permettent entre autres d'obtenir des informations relatives à l'absorption, à la distribution, au métabolisme et à l'élimination (ADME) des substances chimiques sur des organes cibles (tel que le foie), avec des cellules ou tissus humains, de façon plus prédictive, plus rapide et moins coûteuse que les animaux.
De nombreux modèles et logiciels permettant de prédire les propriétés pharmacocinétiques, l'activité biologique des médicaments ou autres molécules chimiques, sont désormais disponibles. La force de ces approches in silico réside dans le fait que les prédictions peuvent être effectuées sur un nombre très élevé de molécules et sont entièrement basées sur les structures des substances chimiques concernées.
Enfin, la modélisation in silico, les essais in vitro, le criblage à haut débit, les approches omiques peuvent fournir des informations complémentaires pour dresser un tableau inédit complet de la réponse potentielle d'un organisme à un facteur de stress ou une molécule chimique. L'utilisation combinée de ces approches permettrait d'obtenir des résultats plus fiables, plus efficaces et moins coûteux, qui serait au bénéfice de tous, humains et non-humains.
Que répondez-vous aux personnes qui indiquent que de nombreux laboratoires et scientifiques continuent à utiliser l'expérimentation animale si ce n'est pas utile ?
Ce dont il faut se rendre compte, et comprendre, est le fait qu'il s'agit d'une transition. Le mouvement est en route, c'est le sens du progrès qu'on ne peut arrêter, mais comme pour tout changement de paradigme, car c'est ce dont il s'agit, cette transition a besoin d'être plus concrètement et sérieusement accompagnée sur les plans du financement, de la réglementation et de la formation notamment.
Le manque de financement est un obstacle majeur. La réglementation est l'obstacle le plus évident et freine l'utilisation des nouvelles approches pour les tests toxicologiques. La réticence des chercheur(e)s est un fait aussi à reconnaître et peut s'expliquer par plusieurs facteurs : particulièrement le poids des habitudes[9] et des dogmes, l'expérimentation animale étant très souvent considérée comme le graal car offrant la possibilité d'étudier un organisme dans son ensemble. Ce statut de "gold standard" pour le modèle animal ne prend étonnamment pas en compte les limites évidentes et de plus en plus démontrées scientifiquement de travailler sur un organisme différent de l'humain. Les chercheur(e)s peuvent aussi considérer l'implémentation des nouvelles méthodes comme un risque trop élevé pour leur carrière et la reconnaissance par les pairs, notamment du fait des considérations biaisées, conséquences d'un manque de formation et d'incapacités à appréhender les outils contemporains.
Cependant, l'aspect très positif et encourageant de la période actuelle est illustré par des signes forts qui ont récemment eu lieu à l'échelle globale. Depuis fin 2022, les États-Unis ont ouvert la voie à la mise sur le marché de médicaments développés et validés via méthodes non animales avec le FDA Modernization Act 2.0, et déploient également via l'ICCVAM et le programme Complement-ARIE, un plan spécifique dédié à l'accélération du financement, à la validation et à l'implémentation de ces nouvelles méthodes, avec un financement gouvernemental annuel de 6 millions de dollars[10].
Suite à l'Initiative 'Save Cruelty-free Cosmetics/Commit to a Europe without animal testing' qui a recueilli plus d'1.2 million de signatures de citoyens et citoyennes de l'Union, la Commission européenne travaille actuellement à l'établissement d'une feuille de route de sortie progressive des tests sur animaux et d'intégration progressive des méthodes non animales pour les risques liés aux substances chimiques.
En 2023, le géant pharmaceutique suisse Roche a créé à Bâle l'Institute of Human Biology (IHB) par lequel il souhaite se positionner en tant que pionnier pour la découverte et le développement de médicaments à partir des nouvelles approches basées sur l'humain, tels que des mini-organes humains ou des modèles informatiques innovants.[11]
En mai 2023, c'est au groupe Merck, basé à Darmstadt, qui, par la voie de sa dirigeante Belén Garijo, a annoncé "ne plus vouloir faire d'expérimentation animale" et "réduire significativement le nombre de tests sur les animaux pour le développement et la sécurité des médicaments et des produits chimiques"[12].
Les Pays-Bas ont quant à eux annoncé début 2024 le financement gouvernemental à hauteur de 125 millions d'euros pour la création d'un centre dédié à la transition[13], se positionnant en tant que leader à l'échelle européenne.
Il s'agit là d'avancées significatives et une reconnaissance de plus en plus importante de l'intérêt et du potentiel de ces méthodes et technologies non animales focalisées sur l'humain.
Ce qu'il faut, comme le demande et ce à quoi travaille Pro Anima depuis de très nombreuses années, c'est à la fois une volonté politique plus forte notamment en France, où l'on constate un retard certain sur le sujet, pour une révision de la formation et l'éducation des chercheur(e)s actuels et futurs et un financement beaucoup plus conséquent pour développer, valider et implémenter ces méthodes.
Cette transition sera aussi accélérée grâce aux nouvelles générations qui ne veulent plus systématiquement expérimenter sur les animaux et comprennent davantage les enjeux et avantages de ces nouvelles méthodes pour la santé et pour une recherche de pointe.
La transition vers ces nouvelles technologies est, en plus d'être un enjeu de santé publique, un enjeu économique et de souveraineté.
Quelles sont les principales découvertes scientifiques n'ayant pas eu recours à l'expérimentation animale et comment est-ce possible ?
Parmi les récentes découvertes faites avec des technologies hors modèle animal, nous pouvons citer la découverte en 2023 grâce à l'IA de nouveaux antibiotiques pour la première fois depuis 60 ans. L'étude a été menée par une équipe de scientifiques dont le chercheur David Baker à l'Université de Washington.
En 2024, des scientifiques ont utilisé l'IA pour concevoir des anticorps de A à Z. Des chercheurs ont ainsi utilisé l'intelligence artificielle générative (IA gen) pour les aider à fabriquer pour la première fois des anticorps complètement nouveaux. La preuve de principe, rapportée dans une prépublication sur bioRxiv, soulève la possibilité d'introduire la conception de protéines générée par l'IA sur le marché des anticorps thérapeutiques, qui vaut des centaines de milliards de dollars.
Sur les aspects de la prédictivité, en 2022 une étude marquante réalisée par la société américaine Emulate qui développe des organes-sur-puce et notamment des foies-sur-puce humains (liver on chip) a démontré que les Liver-Chips humains sont 7 à 8 fois plus prédictifs que les animaux en ce qui concerne la toxicité du foie et qu'elles sont 100 % spécifiques.[14]
Un autre exemple très explicite de l'intérêt de ces méthodes non animales et plus particulièrement de la technologie des organes-sur-puce : pour accroître l'efficacité de son programme de recherche, le Dr Atkins, scientifique à la division Investigative Pathology de Moderna, a commencé à utiliser le foie-sur-puce d'Emulate (Emulate Human Liver-Chip) pourdépister la toxicité liée aux nanoparticules lipidiques (LNP) au lieu de s'appuyer uniquement sur les primates non humains (PNH)[15]. Dans une récente analyse de coût, le Dr Atkins a pu dépister 35 nouvelles LNP dans le Liver-Chip au cours d'une série d'expériences qui a duré 18 mois pour un total de 325 000 $. La même étude réalisée avec les PNH aurait coûté à Moderna plus de 5 000 000 $ et aurait pris plus de cinq ans.
Il s'agit là non seulement de découvertes scientifiques, mais technologiques, qui mettent en évidence de nouvelles approches prometteuses pour la découverte, le développement et les tests d'efficacité de nouveaux candidats médicaments ainsi que les évaluations de toxicité afin de mieux assurer la santé humaine via des traitements plus efficaces, moins toxiques, et pertinents pour les patient(e)s. Ces outils sont parfaitement adaptés à ce qu'on appelle la médecine personnalisée, le fait de proposer un traitement adapté et efficace pour chaque patient(e)s.
Un exemple significatif : chaque année en France, sont répertoriés environ 382 000 nouveaux cas de cancer et 157 400 décès de cancer. Parmi eux, 2200 enfants et adolescents apprennent qu'ils sont atteints d'un cancer. Ils sont multiples et différents des cancers chez l'adulte. Les cancers pédiatriques nécessitent un diagnostic rapide et une prise en charge adaptée par des équipes hautement spécialisées. Environ 95% des traitements issus des tests animaux (principalement souris et rats) ne sont pas efficaces ou sont toxiques une fois testés chez l'humain. C'est pourquoi, la recherche en oncologie est en quête de nouvelles méthodes d'approche plus proches des patient(e)s.
Une équipe du laboratoire Gustave Roussy a contribué à la guérison de Lucas, 13 ans, atteint d'un gliome du tronc cérébral en utilisant des organoïdes cérébraux dérivés de cellules du patient pour tester un traitement d'immunothérapie.[16] Il s'agit d'un succès plein d'espoir pour l'avenir du traitement du cancer et un superbe exemple de l'utilisation de méthodes non animales pour la recherche scientifique et la médecine personnalisée. En juin dernier, le laboratoire Gustave Roussy a publié un article sur le rôle que peuvent avoir les organoïdes dérivés de patient(e)s (PDO) pour les cancers pancréatiques. Ils pourraient permettre des tests de dépistage de médicaments ex vivo et une personnalisation du traitement des patient(e)s dans le cadre de l'oncologie fonctionnelle de précision (FPM pour functional precision medicine).
Pour en savoir plus et suivre ces avancées, le Comité Pro Anima réalise, en plus de ses actions ciblées, chaque semaine une veille sur les grandes avancées de la recherche non animale sur les plans réglementaires, économiques et scientifiques, notamment. Disponible sur inscription en français et en anglais, gratuitement, elle est envoyée sous forme de newsletter tous les vendredis matin et disponible sur le web et via les réseaux sociaux.
Pour soutenir nos actions, n'hésitez pas à visiter notre site web www.proanima.fr
L'équipe du
Comité scientifique Pro Anima
[1] https://www.proanima.fr/interview/prof-merel-ritskes-hoitinga/
[2] https://translational-medicine.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12967-019-1976-2
[3] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22847253/
[4] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/
[5] https://www.cnrs.fr/fr/pepr/organes-organoides-sur-puces-med-ooc
[6] https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3002667
[7] https://alzres.biomedcentral.com/articles/10.1186/alzrt269
[8] https://ascpt.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1038/clpt.2013.117
[9] https://precisiontox.org/read-the-report-on-socio-technical-barriers-to-the-uptake-of-nams-here/
[10] https://www.proanima.fr/science-dialogue-serie-de-panels-de-discussion/
[11] https://institutehumanbiology.com/
[14] https://go.emulatebio.com/nature-publication-emulate-liver-chip-predictive-toxicology
[15] Comment Moderna utilise les organes-sur-puce pour améliorer la recherche sur les LNP