Portrait de François Chih-Chung Wu, Ambassadeur de Taïwan en France
WU Chihchung François est Ambassadeur de la République de Chine (Taïwan) en France depuis 2018 et il a été auparavant Vice-ministre des Affaires étrangères de 2016 à 2018.
1) Vous êtes Ambassadeur de Taïwan en France
depuis 2018 avec un parcours riche et étroitement lié à la France, comment
devient-on Ambassadeur et quelles sont vos missions ?
Tout d'abord, j'assume fièrement mon titre d'Ambassadeur. Je rappelle que ce titre est attribué par la Présidente de Taïwan élue précédemment avec 8 millions de voix alors que le Président chinois Xi Jinping est élu avec une seule voix. L'avenir n'est pas forcément fait par les plus forts mais si on considère cette dernière affirmation alors le changement se fera selon les valeurs chinoises… Je rappelle aussi que « The Economist » classe Taïwan comme la 10ème démocratie la plus mature (devant la France).
Pour devenir ambassadeur, il y a deux façons de faire carrière : - la première, par concours en intégrant le ministère des Affaires étrangères à Taïwan et en grimpant les échelons de la carrière diplomatique – la seconde, en étant nommé politiquement, ce qui est mon cas. Cela dépend du pouvoir en place, il faut beaucoup travailler avec les partis politiques. En 2016, la Présidente élue, Tsai Ing-wen, m'a nommé Vice-ministre des Affaires étrangères en même temps que la nomination de nombreux ambassadeurs. Avant cela, j'étais professeur d'Université. C'est en 2018 qu'elle m'a nommé ensuite Ambassadeur en France. En étant nommé en dehors du parcours traditionnel par le ministère des Affaires étrangères, cela permet de mieux exécuter la volonté du parti politique au pouvoir.
Mes missions sont principalement de promouvoir les relations franco-taïwanaises et améliorer les relations de Taïwan avec les pays de la francophonie notamment en Afrique. Taïwan a un statut spécial puisque la plupart des pays ne reconnaissent pas la souveraineté de Taïwan et il y a des difficultés pour installer ou nouer des relations en raison de la forte opposition de la Chine. Il y a cette « Taïwanalogie » qui, même si Taïwan n'a pas beaucoup de reconnaissance officielle, reste un Etat souverain. Cette souveraineté ne se décide pas en France, aux Etats-Unis ou en Chine ; Taïwan peut exister malgré la menace d'un voisin puissant.
Mon rôle est aussi de transmettre les valeurs universelles de Taïwan : la liberté, la démocratie. On dit souvent « Taiwan is helping » (Taïwan aide) et nous avons montré notre savoir-faire comme par exemple la production des semi-conducteurs ou lorsque nous avions alerté l'OMS en décembre 2019 sur la crise du Covid. Taïwan est le « David du XXème siècle contre le grand Goliath chinois » et nous voulons inspirer le monde de manière positive.
2) Comment Taïwan travaille-t-il avec la
France et quelles sont les pistes d'actions et les perspectives pour faire
connaître Taïwan et développer les échanges ?
En France, nous avons peu d'échanges avec le gouvernement et les échanges avec l'exécutif ne sont pas si faciles mais nous essayons surtout de sensibiliser l'opinion publique à la spécificité de Taïwan. Nous recueillons de plus en plus de soutien des parlementaires en France. Ainsi, en 2020, le Sénat a voté une résolution à l'unanimité (304 votes pour) pour soutenir la présence de Taïwan dans les organisations internationales. Pour cette nouvelle législature au Sénat, on compte 58 Sénateurs inscrits au groupe d'amitié France-Taïwan (autant qu'avec le Japon). C'est le premier groupe d'amitié parlementaire dans l'Indopacifique devant la Chine et en nette augmentation (20 sénateurs auparavant). Cela témoigne des bonnes relations que nous entretenons et des effets de notre action diplomatique en France.
Nous alertons aussi régulièrement les médias de ne pas tomber dans le narratif chinois. Il en est de leur responsabilité de dire la vérité par exemple en cessant d'utiliser le terme de « réunification » (ou d'unification). Le gouvernement de la Chine communiste n'a jamais gouverné Taïwan et n'y a jamais mis les pieds. Si on prend le cas de Hong-Kong, la démocratie avait été garantie par un traité international pendant 50 ans mais on constate bien que cela n'a pas duré avec la Chine communiste. La Chine fait de l'ingérence et même par la force si nécessaire. Il faut bien comprendre que si la Chine entrait à Taïwan, ce serait une invasion ! Or en responsabilité, il faut tout faire pour garantir la paix et le statu quo qui sera bénéfique pour le monde.
Dernièrement, au niveau de nos relations avec la France, les compagnies aériennes de Taïwan ont acheté pour 20 milliards € d'Airbus et en 2023 et 2024, Taïwan a investi dans une méga-usine de batteries nouvelle génération à Dunkerque. On peut citer aussi le lancement d'un satellite de conception taïwanaise par la fusée Ariane. Les relations avec la France s'améliorent et les perspectives que nous développons sont de bons augures.
3) La menace chinoise sur Taïwan semble de plus en plus présente dans les médias et dans les consciences, comment Taïwan s'organise-t-il face à la Chine tant économiquement, culturellement que militairement ?
Oui, il faut le rappeler, la menace chinoise est réelle ! En 2023, la Chine a fait près de 2000 incursions dans la zone d'identification de défense aérienne de Taïwan. Tous les jours nous avons fait décoller des avions pour contrer les provocations chinoises : 6-7 irruptions en moyenne par jour et parfois 50 avions chinois dans la zone ! Pour cela, Taïwan a renforcé son budget militaire, a lancé en 2023 son premier sous-marin (Hai Kun) et rétabli le service militaire obligatoire d'un an pour tous. Nous avons aussi renforcé la coopération informelle avec nos voisins. Les pays voisins s'efforcent d'avertir la Chine de ne pas intervenir pour garantir la stabilité dans la région. Il y a un intérêt pour tous de garantir la stabilité et la liberté car la Chine menace aussi en réalité l'Inde, les Philippines ou le Vietnam. Le nationalisme chinois inquiète le monde mais Taïwan ne veut pas donner une excuse à la Chine d'utiliser des moyens militaires pour nous envahir. Il faut maintenir le statu quo en refusant la possible invasion d'un petit pays par une grande puissance car cela peut se reproduire ailleurs. Je crois que nous avons réussi à convaincre et nous continuerons à encourager le statu quo sans provocations inutiles.
Pour résumer, la paix a 4 dimensions :
- La volonté de Taïwan en augmentant ses capacités de défense
- La force internationale qui s'organise dans la région (ex : Traités pour la sécurité entre les Etats-Unis et le Japon ou les Etats-Unis et la Corée du Sud)
- La sensibilisation de l'opinion internationale qui nécessite de sortir du narratif chinois pour garantir les valeurs de paix, stabilité, liberté et démocratie.
- La dimension économique qui est un bouclier pour Taïwan puisque nous produisons 70% des semi-conducteurs mondiaux (et même 92% des semi-conducteurs les plus sophistiqués).
4) Quels sont les liens officiels qu'entretient Taïwan avec d'autres pays dans le monde et comment les renforcer ?
Actuellement 12 pays reconnaissent officiellement Taïwan (le Guatemala, Belize, le Paraguay, Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Eswatini, le Vatican, les Palaos, les Iles Marshall et Tuvalu). Notre but est de tout faire pour préserver ces relations étroites.
Je rappelle néanmoins que dans le droit international rien n'est précisé sur le nombre de pays nécessaires pour reconnaître un pays souverain. Et même si des pays tels que la France, le Japon, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis ne reconnaissent pas officiellement Taïwan, nous entretenons des relations avec ces pays et nous nous considérons comme un Etat souverain.
Taïwan bénéficie d'une légitimité démocratique de ses institutions à la différence de la Chine. Nous voulons développer nos relations par une pensée durable.