Portrait de Xavier Driencourt, Ancien Ambassadeur de France en Algérie

01/11/2024

Xavier Driencourt est un diplomate Française, il a exercé de nombreux postes au Quai d'Orsay, a été Ambassadeur de France en Algérie à deux reprises de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020. Il a écrit 2 livres sur le sujet Algérien. 

1) Vous avez un parcours riche et varié au sein du Ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères, quelles missions vous ont le plus passionnées et/ou apportées et plus particulièrement, comment avez-vous vécu vos différentes affectations comme consul ou ambassadeur ?

J'ai un parcours classique de diplomate en fait. Après l'ENA, j'ai intégré le quai d'Orsay et j'ai exercé plusieurs fonctions au sein du Ministère. J'ai ensuite intégré le cabinet d'Alain Juppé (1993-1995) et je l'ai suivi à Matignon jusqu'à la dissolution. Etant très intéressé par les questions de gestion et d'organisation, je suis devenu Directeur général de l'administration au Ministère durant 6 ans. Sous le Ministère de Laurent Fabius, j'étais Inspecteur Général du Quai d'Orsay. A ce titre, je parcourais le monde pour contrôler les postes diplomatiques et consulaires. Cette mission m'a passionné durant les 5 ans que je l'ai exercée.

Evidemment, mes affectations en tant qu'Ambassadeurs ont été réellement passionnantes. J'ai été consul general en Australie, Ambassadeur de France en Malaisie et par deux fois, Ambassadeur de France en Algérie (2008-2012 et 2017-2020). Au quai d'Orsay, on disait qu'il y a deux pays qui comptent particulièrement pour la diplomatie Française l'Allemagne et l'Algérie. L'Algérie, malgré la difficulté du poste et son caractère sensible, le poste d'Ambassadeur à Alger a été réellement passionnant car il couvre tous les sujets : politique, politique intérieure, sécurité, visa, migrations, relations avec le Maroc, francophonie, culture, économie …. Ailleurs j'étais plus spécialisé. En Malaisie, c'était notamment les questions de stratégies et les affaires militaires qui m'occupaient, en Australie essentiellement les affaires économiques.

2) De votre poste d'Ambassadeur en Algérie à deux reprises, vous avez écrit 2 livres. Comment analysez-vous la situation entre la France et l'Algérie à l'heure actuelle ?

Structurellement, la situation est compliquée mais elle a toujours été compliquée depuis 1962.

Pour résumé, j'aime dire que c'est un peu le « CAC 40 ». Il y a des périodes haussières et d'autres baissières. La situation a été stable sous Jacques Chirac car il s'entendait bien tant avec le Roi du Maroc qu'avec le Président Bouteflika jusqu'à la loi de février 2005 sur les « bienfaits de la colonisation » avec l'amendement Vanneste qui a inséré au programme des écoles l'enseignement des bienfaits de la colonisation. Sous Nicolas Sarkozy, lorsque j'étais en poste, la situation était un peu plus compliquée. Les relations étaient correctes sous François Hollande sauf à la fin de son mandat lorsque le Président Hollande louait « l'alacrité étonnante » du Président Bouteflika alors que tous connaissaient ses graves problèmes de santé.

Durant le septennat d'Emmanuel Macron, les relations ont commencé de manière positives. Il a fait des gestes envers l'Algérie comme la reconnaissance de la colonisation comme crime contre l'Humanité et sa visite à Alger. Les relations ont ensuite décliné avec les problèmes liés aux OQTF et après l'interview du Président Macron en 2021 dans Le Monde où il se « lâchait » sur le système politico-militaire algérien, la rente mémorielle et la falsification de l'Histoire. Cela a entraîné un premier rappel de l'Ambassadeur Algérien en France. Ensuite Emmanuel Macron a passé 3 jours en 2022 à Alger puis à Oran qui ont été plutôt positifs. Néanmoins une seconde crise est ensuite intervenue lorsque la France est passée par son ambassade à Tunis pour rapatrier une opposante au Président Tebboune, Amira Bouraoui. Second rappel de l'Ambassadeur d'Algérie en France.

Nouvelle crise cet été avec le Sahara Occidental. Emmanuel Macron a fait beaucoup de gestes vis-à-vis d'Alger dans le domaine mémoriel et l'Algérie n'a jamais renvoyé l'ascenseur.

Dernièrement, le Président Tebboune a été réélu avec 95% des voix. La France est le seul pays à l'avoir félicité avec Erdogan et Bachar El Assad. Néanmoins, 8 jours plus tard, les autorités algériennes ont retrouvé 5 millions de bulletins de votes et le résultat de la victoire est tombé à 85%. En diplomatie, il faut avoir une ligne et s'y tenir. Emmanuel Macron a trop pratiqué le « en même temps ».

3) La France tente depuis cet été de se rapprocher du Royaume du Maroc mais n'ose pourtant pas tenir aux dirigeants Algériens, est-ce lié à des raisons économiques notamment l'importation d'hydrocarbures ?

2 raisons principales expliquent ce rapprochement. Après la reconnaissance de la « Marocanité du Sahara Occidental » cet été par la France et la lettre d'Emmanuel Macron à Mohammed VI où il parle du présent et de l'avenir du Sahara Occidental ; on peut désormais considérer qu'on assiste à un renversement des alliances comme en 1756 lorsque Louis XV et Choiseul ont lâché l'alliance avec la Prusse pour une alliance avec l'Autriche ce qui a ensuite permis le mariage de Louis XVI avec Marie-Antoinette.

Première raison : Emmanuel Maron s'aperçoit peut-être qu'il fait fausse route avec l'Algérie. Seconde raison : la grande subtilité ou agilité de Mohammed VI. La France était brouillée avec le Maroc depuis 2018 avec l'affaire Pégasus. Le Roi a alors indiqué que la réconciliation entre le Maroc et la France ne pourrait intervenir qu'à la seule condition de la reconnaissance de la Marocanité du Sahara Occidental. C'est cela le renversement des alliances. Emmanuel Macron ira peut-être même plus loin dans les mois à venir avec l'ouverture d'un consulat au Sahara Occidental.

On est trop timoré avec l'Algérie. Ce n'est pas pour des raisons économiques mais la classe politique dans son ensemble est aveuglée car l'Algérie fait partie entièrement de la politique intérieure française.

La gauche a des remords depuis la Guerre d'Algérie embarrassée par la position de François Mitterand, Ministre, qui avait condamné à mort 136 Algériens ou qui encore avait dénoncé l'arrêt du processus électoral en Algérie en 1991. La droite a le souvenir malheureux du Général de Gaulle et du fameux « Je vous ai compris » couplé au rapatriement des pieds-noirs et des harkis en 1962. Ils ont tous des remords et veulent en quelque sorte se faire pardonner le passé sans oser affronter le pouvoir Algérien.

4) La question migratoire est au cœur de notre Histoire avec l'Algérie, que pensez-vous des accords de 1968 ?

Il faut tout simplement les abroger car ils facilitent l'installation des Algériens en France. Les accords d'Evian prévoyaient dans une annexe la libre circulation entre la France et l'Algérie. Or on a du renégocier ces accords car on pensait à l'époque que les pieds-noirs resteraient en Algérie et on voulait qu'ils puissent voyager librement entre les deux pays. Mais dès juillet 1962, il y a eu un retour massif des pieds-noirs en France. On s'est donc rendu compte que la libre circulation concernerait uniquement des Algériens. Les accords de 1968 ne rétablissent pas la libre circulation mais ils donnent des avantages aux Algériens par rapport aux autres nationalités (carte de séjours de 10 ans, visas commerçants …). Or aujourd'hui ces avantages n'ont plus lieu d'être et il faut faire revenir les Algériens dans le droit commun. Certains diront, à tort, comme Gérald Darmanin, que la suppression des Accords de 1968 entraînerait le retour de la libre circulation et des accords d'Evian or cela est totalement faux puisque ces derniers ont été abrogés par l'accord de 1968 pource qui concerne la circulation des Algériens. C'est en réalité un prétexte politique pour ne rien faire car cette abrogation fait peur mais il faut que la classe politique Française puisse tête au pouvoir Algérien.

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